Assis sur sa minuscule terrasse aux grillages bleus, Alfredo Favaloro, longs cheveux et barbe blanche, un châle fuchsia tombant sur son torse bronzé, passe les journées à regarder la mer en compagnie de son chat. Regarder avec le cœur, devrait-on dire, car le « gardien » du minuscule port de Salina est atteint de cataracte. « Je ne vois pas la mer, mais je la sens. J’entends le bruit des vagues, des pêcheurs et des barques », précise-t-il pendant qu’un bateau citerne décharge l’eau potable amenée de loin. Ce septuagénaire pittoresque a quitté son île natale à l’âge de quinze ans pour rejoindre l’un de ses treize frères à Milan et travailler en usine – « on allait en Suisse acheter des cigarettes et du chocolat », se remémore-t-il. Mais la grande ville du nord ne lui convenait pas, lui il aimait la mer et la pêche et après cinq ans il est retourné dans les Eoliennes.
Demeures d’Eole et de Vulcain
On le comprend : ces îles volcaniques, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco, sont un monde à part qui a toujours alimenté mythes et légendes. Les Grecs y voyaient la demeure d’Eole, le dieu des vents, et les Romains celle de Vulcain, le dieu du feu. Situées au nord de la Sicile, elles sont disposées en Y : le côté est – Vulcano, Panarea et Stromboli – est encore actif, tandis que le côté ouest – Lipari, Salina, Filicudi et Alicudi – est éteint. Le Stromboli est, avec l’Etna, le volcan le plus actif d’Europe.
« Où est-on mieux qu’ici ? poursuit Alfredo. Ailleurs il y a la guerre, ici nous vivons avec la porte ouverte. Nous cultivons des olives, du raisin et des câpres. Quand j’étais petit je suis allé sur toutes les autres îles pour chasser le lapin, sauf à Alicudi, où il n’y en avait pas. Depuis ils l’ont introduit. »
Alicudi, une centaine d’habitants…
Aujourd’hui à Alicudi il y a plus de lapins et de chèvres que d’habitants. La plus inaccessible et sauvage des Eoliennes était une colonie pénitentiaire jusqu’au début du 20ème siècle. De nos jours, une petite centaine d’habitants – la moitié en hiver- y vivent dans des maisons au charme fou, entourées de bougainvilliers, à flanc d’une montagne abrupte qu’on ne gravit qu’à pied ou à dos de mulet car il n’y a pas de routes.
Trois communautés y résident sans se mélanger : dans la partie haute des Allemands, les premiers à s’être installés sur l’île dans les années 1960, alors que les habitants la fuyaient pour aller en Australie, en Argentine ou en Suisse. Ensuite les quelques Italiens ou étrangers tombés sous le charme de ce bout de terre éloigné du monde, comme ces Appenzellois rencontrés en montant péniblement les marches qui mènent à l’église de San Bartolo, le patron de l’archipel. Enfin les Alicudiens. Tout ce petit monde bénéficie des services publics de base : un médecin, la poste et l’école primaire.
….et la plus petite école d’Europe
« Nous avons la plus petite école d’Europe ; elle compte trois élèves dont une Française », nous déclare fièrement Maurizio Bucolo, le gardien, nous faisant visiter la bibliothèque de 7’000 livres. Chaque semaine il fait le voyage depuis Milazzo, sur la côte, lorsque la mer permet aux bateaux d’entrer dans le petit port, ce qui n’est pas garanti. « Parfois je ne vois personne toute la journée ; en hiver, je n’entends que le silence », sourit-il.
Les habitants vivent dans un isolement presque total, choisi ou subi, c’est selon, l’île ne comptant qu’une placette près du port pour socialiser, si on le souhaite. Cette vie monacale attire des artistes, des écrivains et des personnes désireuses de contempler les vertiges du panorama et de leur vie intérieure, mais dans le temps la vie était dure. Les gens n’avaient d’autres choix que de se marier entre eux et il leur arrivait de perdre la tête, comme en témoigne la légende des femmes volantes, ces dames volages qui quittaient leurs maris à la nuit tombée pour aller faire la fête. Des visions dues à un champignon hallucinogène ayant infesté le seigle avec lequel on fabriquait le pain, mais sans doute aidées, on n’en doute pas, par la magie des lieux.
Stromboli, le rouge et le noir
« A Stromboli aussi les îliens sont partis en Australie dans les années 1960 et les Allemands sont venus », nous raconte Renate Holz in Cicala, une peintre berlinoise arrivée à cette époque pour faire une cure thermale et qui n’en est plus repartie, après avoir rencontré son futur mari sur le bateau.
A l’autre extrémité de l’archipel des Eoliennes, à la tombée de la nuit, nous gravissons le volcan en compagnie de quelques chèvres sauvages aux longues cornes. Soudain, pendant que le soleil décline dans la mer, des flambées rouges s’échappent du cratère, les deux tonalités pourpres se mélangeant dans le ciel comme sur la palette d’un peintre. La lave dévale la pente dans un bruit sourd pour se jeter dans la mer, le long de la célèbre Sciara del fuoco. La descente se fera dans l’obscurité la plus totale, Stromboli ayant renoncé à l’éclairage public pour mieux se perdre dans les étoiles. L’atmosphère est inquiétante, le silence absolu, rompu seulement par le chant des cigales, le bruit de la mer et le grondement sourd du volcan qui fait trembler les portes des maisons.
Le volcan libère émotions et peurs irrationnelles
« Cette île dégage une énergie particulière car les quatre éléments que sont le feu, l’eau, la terre et l’air s’entrelacent pour créer un mélange énergétique très puissant qui permet de se connecter intimement avec la Terre mère », nous explique Giovanna Piazza. Cette opératrice chamanique organise des voyages dans les mondes d’en haut et d’en bas sur la plage de lave noire, à la tombée de la nuit. Le volcan libère les émotions et les peurs les plus profondes, voire les plus irrationnelles, certains pensant qu’il devient toujours plus actif et dangereux…
« En réalité c’est une illusion », commente Mimmo Palano, de l’Institut national de géophysique et vulcanologie de Rome et responsable du CAVEAT, un projet de recherche qui vise à acquérir de nouvelles données sur les volcans des Eoliennes. « Chaque volcan connaît des cycles d’éruptions plus ou moins fréquentes et le cycle actuel est l’un de ceux qui connaissent le plus d’activité, concède-t-il. Sur le long terme, il est plus ou moins stable, mais alors qu’il y a cinquante ans il n’y avait pas de réseaux sociaux, aujourd’hui tous les visiteurs prennent des photos, ce qui donne l’illusion que le Stromboli est plus actif que d’habitude. »
Vulcano, l’île évacuée où la vie reprend
En revanche Vulcano, dont la dernière éruption remonte à 1888, a connu il y a deux ans une augmentation des valeurs de certains gaz, dont le CO2, qui a poussé les autorités à évacuer l’île et à fermer la station thermale. « Les valeurs sont en train de revenir à la normale, mais elles pourraient repartir à la hausse. Les habitants sont revenus, mais les thermes sont toujours fermées », précise le scientifique.
Au nord des Eoliennes, un autre volcan, beaucoup moins connu, fascine et inquiète : c’est le Marsili, le plus étendu d’Europe, assoupi au fond de la mer avec un cône culminant à 500 mètres au-dessous de la surface. « Il s’agit d’un volcan actif dont l’activité fumerolienne est assez évidente, mais dont la surveillance est plus compliquée. Pour l’instant il est assez calme, mais le risque de raz-de-marée n’est pas exclu. Cependant, compte tenu de la profondeur et de l’éloignement de la côte, la vague de tsunami serait peu perçue sur les côtes italiennes. »
Tout comme nos ancêtres qui voyaient des dieux dans la nature et les volcans, les îles Eoliennes n’ont pas cessé de nous fasciner.(lignesdhorizon.net)
NOTIZIARIOEOLIE.IT
10 DICEMBRE 2023
L'intervista del Notiziario alla giornalista Isolda Agazzi, notizie dal mondo per il mondo